Journées professionnelles

Compétences transversales à l’université chez les étudiants et les enseignants : regards croisés.

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Je vous propose ici le retour d’une conférence que j’ai suivie le 15 mars dernier, dans la vallée d’Orsay lors de la Journée Fil Rouge, une journée d’étude organisée tous les ans autour de la question des méthodes d’évaluation (de quoi ? des compétences). Il s’agit d’une journée d’étude classique, conférences le matin, ateliers l’après-midi. Je ne reviendrai que sur la première conférence qui me paraît déjà bien garnie. Je n’ai pu assister qu’à un seul atelier sur les quatre proposés et j’avoue avoir très mal choisi (l’atelier était très bien mené, mais pas pertinent ici), je ne vois pas l’utilité d’en faire un retour.

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Cette conférence a été animée par Sophie Morlaix, PU en Sciences de l’éducation à l’Université de Bourgogne et par Amélie Duguet, MCF en Sciences de l’éducation, toujours à l’Université de Bourgogne.

    Je vous invite à visiter le site de leur institut, l’IREDU (Institut de Recherche en Sciences de l’Education) si vous souhaitez en savoir plus.

 [Il n’y a pas d’autres témoins-bibliothécaires de cette conférence, donc vous allez faire confiance à ma mémoire et mes notes]

Que sont les compétences transversales ?

    Une des plus grosses difficultés vis-à-vis de toutes les notions dérivées de la notion de « compétence », c’est la polysémie. Il n’est, à l’heure actuelle, pas franchement possible de s’entendre sur une définition consensuelle de la compétence transversale. Pour pouvoir en discuter entre gens sérieux sans s’écharper sur des problèmes de définition, il faut donc essayer de trouver les plus petits dénominateurs communs entre diverses définitions qui font partiellement autorité

  • On a d’abord une définition de « bon sens » (dans les institutions chargées de l’éducation et de la formation tout particulièrement) : les compétences transversales relèvent de tout ce qui n’est pas académique. Une compétence transversale n’est donc pas une compétence disciplinaire ;
  • Une définition un peu plus poussée (Rey, 1996) propose que la compétence transversale est un composé de savoir-faire, plutôt d’ordre méthodologique, qui ne relève pas d’une discipline particulière, et de savoir-être, un ensemble de compétences comportementales.

    Beaucoup d’autres définitions existent, elles sont souvent assez larges voire nébuleuses et donc assez peu utilisables dans un contexte concret, mais nous y reviendrons. En attendant, voici une liste de communs fondamentaux pour définir les compétences transversales proposée par Sophie Morlaix :

    Les compétences transversales se caractérisent par :

  • la mobilisation de ressources, savoir-être mobilisé dans une situation donnée (les termes en gras souligne la parenté des compétences transversales avec la définition de la compétence par Tardif (Tardif, 2006) : l’approche par compétence n’est jamais très loin) ;
  • une très grande variabilité des situations dans lesquelles elles sont observables ;
  • leur dynamisme, leur capacité d’évolution et d’adaptation ;
  • leur transférabilité (même si très partielle) ;
  • une tension entre le rapport à soi et le rapport à autrui, les compétences sociales et les compétences réflexives sont généralement classées dans les compétences transversales ;
  • un rapport à des normes et à des valeurs.

    En bref les compétences transversales ne relèvent pas d’une discipline particulière, mais elles sont mobilisées dans des cadres disciplinaires, elles semblent faire appel à des ressources internes et externes, qui ne sont pas forcément mises à disposition au sein des lieux de formations mais qui émergent plutôt des parcours individuels et sociaux des personnes.

    On peut donc se demander en quoi l’université aurait à se préoccuper des compétences transversales, de leur définition et insertion dans les enseignements, jusqu’à leur évaluation. Sophie Morlaix propose l’explication suivante.

Compétences transversales, marché du travail, employabilité et salaire

    L’état actuel du marché du travail impose une concurrence de plus en plus féroce entre les individus : le seul diplôme ne suffit plus pour s’insérer, il faut, en plus, apporter d’autres preuves de compétences et celles-ci ne sont plus tellement liées à des savoir-faire disciplinaires bien cadrés : travailler en équipe, communiquer, mettre en place des méthodes d’organisation efficaces, revenir sur ses résultats et ses capacités et en tirer des conséquences… tout cela est recherché par les employeurs et de ce point de vue, l’université a tout intérêt à insister sur l’acquisition de compétences transversales durant la période de formation pour augmenter le taux d’insertion de ses étudiants dans le marché du travail.

    Les compétences transversales ne sont pas seulement nécessaires à l’insertion des jeunes diplômés dans le monde du travail, elles semblent avoir un rôle dans la durabilité des expériences professionnelles et, le cas échéant, dans la perspective d’un retour à l’emploi. Les personnes qui font preuve de persévérance, de leadership, de sociabilité, ou qui ont une bonne estime d’elles-mêmes restent plus longtemps sur leur emploi ou en retrouvent plus rapidement.

    La question reste : du point de vue des compétences transversales, est-ce que notre système d’enseignement et plus particulièrement notre université prépare au marché du travail ?

    Premier élément de réponse lors d’une enquête auprès de 850 diplômés (Nohu, 2022) :

  • On détecte une correspondance partielle entre ce que l’université développe et les compétences demandées sur le marché du travail, et dans un ordre de priorité différent : les compétences d’expression orales sont perçues par les jeunes diplômés comme plus utiles pour s’intégrer dans le marché du travail ;
  • d’autre part il semble que l’université, via les enseignements qu’elle dispense, ne charge pas de la même signification une notion telle que l’autonomie, on peut imaginer que les compétences transversales d’une manière générale, telles qu’elles sont définies par l’université ne sont pas exactement celles qui sont plébiscitées par les employeurs.

Compétences transversales et méthodes pédagogiques

    La relative inadéquation entre université et marché du travail du point de vue des compétences transversales pourrait venir selon Amelie Duguet, des méthodes pédagogiques employées par les enseignants. Pour développer l’autonomie des étudiants, ou leurs capacités réflexives, oratoires, écrites, sociales, il est nécessaire de les inscrire dans des situations, de faire pratiquer les étudiants. Or, à l’université, le cours magistral, (CM au sens administratif) reste majoritaire, même si de plus en plus d’enseignants progressent vers des méthodes pédagogiques plus actives. Une enquête de l’IREDU (Duguet et Berthaud, 2021) auprès de 248 enseignants montre que l’exposé magistral reste effectivement largement dominant, mais n’est pas la seule méthode pédagogique utilisée : l’étude de cas, par exemple arrive en seconde place, devant d’autres méthodes plus actives.

Deux remarques (très subjectives évidemment) pour conclure

  1. Si vous êtes arrivé jusqu’ici, vous aurez remarqué que la notion de compétence informationnelle n’apparaît pas dans mon retour. Au risque de dire une évidence, les compétences informationnelles sont classées ultra-majoritairement dans les compétences transversales. Elles se distribuent généralement dans les compétences plus générales telles que l’aisance à l’écrit, le jugement critique, le respect de la déontologie et de l’éthique professionnelle, les méthodologies de travail et de recherche. Vous l’aurez deviné, tout cela est sujet à débat, de par le simple fait que l’existence même des compétences transversales fait débat. Je suis donc parti du principe, comme, je pense, l’ont fait les deux conférencières, que les compétences transversales existent en tant que catégorie par défaut pour parler de compétences que l’on estime, aujourd’hui, utiles au plus grand nombre, au-delà de compétences qui seraient plus disciplinaires et moins universellement mises en œuvre. Mais les compétences transversales sont culturellement et socialement dépendantes. Il n’existe pas de choses telles que des compétences universelles, utiles en tout lieu et en tout temps. En ce sens, charger les compétences transversales du contenu des offres d’emploi ne me semble pas illégitime*, mais on peut leur donner d’autres contenus (si on pense qu’il s’agit d’une catégorie de compétence opérante, ce qui, je le rappelle, se discute).
  2. Il est extrêmement difficile de ne pas intégrer une compétence transversale dans une pratique concrète et située. Je forme à la méthodologie de la recherche documentaire, je peux, jusqu’à un certain point rester en dehors des enjeux disciplinaires des étudiants, mais je dois fatalement les intégrer dans ces formations, ne serait-ce que pour permettre un début de pratique concrète absolument nécessaire à l’apprentissage. Je ne forme pas de la même manière à des étudiants en médecine, en soins infirmiers, en gestion ou en droit, tout simplement. Je m’adapte aux enjeux et aux cultures disciplinaires et professionnelles (du moins ce que j’en comprends), je dois donc teinter mes contenus et mes méthodes pédagogiques de « disciplinaire ». Il me semble que plus je m’accorde sur les pratiques, les cultures, les traditions des discipline auxquelles je suis confronté, mieux je réponds aux besoins des étudiants. Je doute donc de l’existence, et surtout de l’utilité dans ma pratique d’une catégorie telle que les compétences transversales.

Samuel Jamet

Bibliographie

DUGUET, Amélie et BERTHAUD, Julien. Méthodes d’enseignement en cours magistral : une analyse exploratoireFormation et profession [en ligne]. Octobre 2021, Vol. 29, n° 3, p. 1. DOI 10.18162/fp.2021.673.

NOHU, Nesha. Développement des compétences non académiques à l’université: quel(s) impact(s) sur l’employabilité des diplômés de master ? [en ligne]. Thèse de doctorat. 2015-…., France : Université Bourgogne Franche-Comté, 2022[consulté le 14 mai 2023]. Disponible à : URL : http://www.theses.fr/2022UBFCH004/document.

REY, Bernard. Les compétences transversales en question [en ligne]. [S. l.] : ESF, 1996[consulté le 14 mai 2023]. Disponible à : URL : https://eduq.info/xmlui/handle/11515/13847

TARDIF, Jacques et DUBOIS, Bruno. De la nature des compétences transversales jusqu’à leur évaluation : une course à obstacles, souvent infranchissablesRevue francaise de linguistique appliquée. 2013, n° 1, p. 29‑45.

TARDIF, Jacques, FORTIER, Gilles et PRÉFONTAINE, Clémence. L’évaluation des compétences: documenter le parcours de développement. Montréal, Canada : Chenelière-éducation, 2006.

[article initialement publié sur le forum FormaBib, le 14 mai 2023]

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