Formation de formateurs et certifications

Approche-programme et approche par compétences dans l’ES. Retour d’expérience d’une formation à l’Institut français de l’éducation. 

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Attention, ce qui suit est le retour d’une formation qui s’est déroulée il y a quelques mois. On m’excusera, je l’espère, les éventuelles imprécisions, erreurs, hésitations, et autres libertés qui se sont glissées dans ce texte bien malgré moi.

Le 28 et 29 mars 2022, j’ai eu la chance de pouvoir participer à une formation à ce qu’on appelle l’approche programme (AP) et l’approche par compétences (APC) dans l’enseignement supérieur (ES). Initialement destinée aux ingénieurs pédagogiques de profession, je vous livre ici mes impressions de bibliothécaire-formateur et non de spécialiste.

Qui suis-je ?

Je m’appelle Samuel Jamet, je suis bibliothécaire depuis 2018. J’ai intégré, à la sortie de l’Enssib, ce qu’on appelait alors l’Université Paris-Sud (XI), aujourd’hui Université Paris-Saclay. J’ai été affecté à un poste de responsable de département des publics à la bibliothèque universitaire Kremlin-Bicêtre (santé). J’ai rapidement pris goût à la formation, et j’ai tenté de développer mon service avec un maximum de réflexivité : la position du formateur, les problématiques de la transmission et de l’accompagnement doivent faire l’objet, à mon sens, d’une perpétuelle remise en cause des méthodes et des croyances personnelles et collectives. Je vous laisse lire la conclusion de ce texte qui prend certainement la forme d’un long questionnement (galvanisant pour moi, et peut-être ennuyeux voire paralysant pour les autres, vous me direz).
Tout cela pour vous faire comprendre que lorsqu’on m’a proposé en mars 2022 de participer à la formation AP et APC dans l’ES à l’Institut français de l’éducation (Ifé), j’ai tout de suite accepté pour le potentiel déstabilisant qu’une telle formation pourrait avoir sur mes méthodes.

Qu’est-ce que l’Ifé ?

L’Ifé se situe à Lyon sur le très agréable campus de l’ENS Lyon.

Centre de recherche et un centre de formation pour les enseignant.e.s, les ingénieur.e.s pédagogiques, les chercheur.se.s en science de l’éducation, l’Ifé existe sous sa forme actuelle depuis 2010, mais son histoire est bien plus ancienne. Je me permets de passer sur ces détails de vous renvoyer sur le site de l’institut, ainsi que sur sa page Wikipédia si vous souhaitez en apprendre plus.

Qu’est-ce qu’un bibliothécaire vient faire à l’Ifé ?

Tout d’abord, permettez-moi de préciser un peu : c’est toute une délégation de Paris-Saclay qui s’est rendue à Lyon en cette fin de mois de mars. J’accompagnais donc Claire Lebreton, conservatrice, directrice adjointe de la DBIST (UVSQ) ainsi que Françoise Berthoud qui était à l’époque chargée des formations transverses « Carrière de docteur » à la Maison du Doctorat de Paris-Saclay.
Françoise avait été chargée par sa direction de conduire un GT chargé lui-même de passer à l’approche par compétences les formations et autres activités doctorales. Il s’agissait avant tout de raccorder les ponts entre les exigences ministérielles et les actions de formations proprement dites.
Pour faciliter, en quelque sorte, le travail, Françoise et Claire se sont concentrées sur les bibliothèques qui proposaient (et proposent toujours) un très large catalogue de formations (de la recherche documentaire à la gestion des données de la recherche en passant par l’Open Access et le processus de dépôt de la thèse de doctorat), pas toujours très bien harmonisées (doublons de formations, surinvestissement de certains établissements par rapport à d’autres, méconnaissance de l’environnement global de Paris-Saclay, etc.).
De mon côté, eh bien je dois dire que j’ai pris connaissance de tout cela quelques jours avant le début de la formation, j’ai donc un peu paniqué quand j’ai compris que c’était quand même « serious bizness » : on attendait de nous des propositions pour mettre de l’ordre dans un catalogue d’environ 140 formations, délivrées par six établissements, selon des exigences réglementaires. Voilà le tableau.

Objectifs et modalités de la formation (me voilà rassuré)

Pas d’inquiétude, c’est justement à ce genre de gros problèmes que devait répondre la formation AP et APC.

  • Tout d’abord, l’objectif premier de la formation : formaliser les grandes lignes d’un projet de formation ancré dans les apports de la recherche sur l’APC et l’AP et identifier les leviers pour mettre en œuvre ces approches dans nos contextes. Notre problématique était partagée par à peu près tous les participants à cette formation, à différentes échelles bien sûr.
  • Deuxième objectif : saisir les enjeux des transformations actuelles de l’ES.
  • Troisième objectif : outiller le regard réflexif sur nos pratiques. J’étais venu pour ça.
  • Quatrième objectif : créer une communauté de pratiques (et de praticien.ne.s) autour de ces questions.

La formation s’est tenue sur deux jours pendant lesquels nous avons alterné entre apports théoriques et mise en pratique, avec deux points d’orgue : un premier à mi-parcours avec une présentation de 3 minutes de l’état des réflexions, un second à la fin de la formation avec, là encore, la présentation en 3 minutes de la mise en œuvre de notre projet.
Nous avions à notre disposition quatre intervenant.e.s :

  • Catherine Loisy : enseignante-chercheuse émérite en psychologie des sciences de l’éducation à l’UBO
  • Christelle Lison : Professeure titulaire à l’Université de Sherbrooke (Pédagogie de l’ES, innovations pédagogiques et curriculaires, encadrement des cycles supérieurs)
  • Anna Clavel : Chargée d’étude à l’Ifé
  • Pierre Benech : Ingénieur pédagogique à l’Ifé

Parenthèse impressionniste sur le déroulé de la formation

Nous étions une vingtaine de participants, toutes et tous venus en groupe avec lettre de cadrage de l’établissement d’appartenance.

Comme le montre le plan de salle, nous étions entourés d’ingénieurs pédagogiques, bien plus outillés et expérimentés que Claire et moi, les seuls bibliothécaires. Il faut bien l’admettre : Claire et moi étions relativement perdus au début de la formation et il nous a fallu fournir un effort supplémentaire pour ne pas complètement lâcher prise. Les sessions d’apports théoriques et les mises en pratiques se succédant à fort régime (imaginez des allers-retours incessants entre « La théorie » et « Notre zone » sur le plan), le rythme a été difficile à tenir et nous avons terminé la première journée un peu désespérés. A cela s’est ajouté la difficulté de cerner les enjeux de la commande de la Maison du Doctorat, ce qui, même pour Françoise, experte en sciences de l’éducation, s’est révélé être un casse-tête. Je passe sur le détail des raisons de ce blocage, ce serait trop long, mais il faut comprendre que l’Université Paris-Saclay n’est pas encore un établissement bien stabilisé et qu’il n’est pas évident de se faire une idée précise des acteurs concernés, de leur réalité sur le terrain, de leurs liens avec les autres acteurs, etc.
Nous avons donc réfléchi « à l’aveugle » en listant principalement les potentiels blocages à la mise en place d’un catalogue à la fois pédagogiquement cohérent, réglementairement acceptable du point de vue de la commande, tout en tenant compte de la réalité particulière de notre environnement à plus ou moins long terme.
En définitive, je ne peux pas assurer que les apports théoriques de la formation ont été valorisés dans notre feuille de route finale tant nous paraissaient lointaines les problématiques pédagogiques. C’est, je pense, ce qui ressortira le plus de ce retour : deux mobilisations mentales parallèles, l’une portée sur la réalité institutionnelle de notre établissement, l’autre sur la synthèse scientifique des problématiques liées à l’apprentissage et à la transmission.
Nous avons donc passé énormément de temps à fixer notre support, à déplacer des post-it, à nous demander si même la première étape de notre feuille de route était dépassable.

La feuille de route est reproduite plus bas

Même si, je pense, nous avons un peu souffert durant ces deux jours (en tout cas moi oui), le fait d’être immergé à ce point dans cette valse aux obstacles pédago-institutionnels, a été pour moi un tournant. Au-delà de la théorie et de nos objectifs, je garde un souvenir particulier de la formation à l’Ifé et les questions qui en ont émergé sont restées. C’est là un grand succès de cette formation.

Parenthèse pointilliste sur les apports théoriques de la formation

Pointilliste parce que parce que c’est ainsi que m’apparaît le tableau théorique une fois les sessions magistrales mises bout à bout. Je ne suis pas devenu spécialiste de l’APC (toujours pas), je ne suis pas un défenseur de l’APC. Les discussions scientifiques autour de la notion de compétence et de l’approche-programme sont très intéressantes, mais ce sont des discussions. Si les pouvoirs publics semblent avoir adopté l’APC, reste que scientifiquement, je n’ai absolument pas l’impression que le concept de compétence soit stabilisé et, plus important et plus significatif à mes yeux (mais ça se débat), il semble y avoir un fossé entre les différentes constructions conceptuelles qui déploient une notion de compétence et les mises en pratique sur le terrain.
Néanmoins, on peut voir que dans le monde francophone, deux définitions de la notion de compétence sont utilisées :

  • Savoir-agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficace d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations. (Tardif, 2006)
  • Organisation de l’activité mobilisée et régulée pour faire face à une tâche donnée, dans une situation donnée. (Coulet, 2011)

Ce que ces deux définitions ont en commun, c’est de fonder la compétence sur une dimension praxéologique, la compétence s’incarne dans un sujet agissant dans des situations données, voire des familles de situations, et donc elle s’observe.
Un autre point qui ressort de ces définitions, c’est la complexité de la compétence (complexecombinaisonvariétéfamille de situations chez Tardif, Organisation chez Coulet qui fait preuve, disons, d’esprit de synthèse avec sa définition). La compétence est un composé de ressources internes (des connaissances par exemple) et externes (l’outil informatique par exemple) dont les rapports sont régulés par des facteurs internes (ce que l’on tient pour vrai par exemple) et externes (un feedback par exemple). C’est évidemment, extrêmement simplifié et je n’ai pas les ressources (internes) pour détailler les points controversés.

La compétence s’intègre dans une méthode pédagogique, l’approche par compétences qui consiste pour le formateur à déterminer les grandes familles de situations dans lesquelles doivent s’incarner les compétences à observer, et à, en quelques sorte, baliser la route de l’apprentissage en analysant ce qui nous semble être un savoir-agir ou une organisation en une série de tâches et d’activités de plus en plus précises. Il me semble (je reste extrêmement prudent là-dessus) qu’un objectif de l’approche par compétences est de mettre en lumière autant que faire se peut ce qu’il y a de tacite dans ce que nous transmettons et dans ce que les apprenants intègrent. L’approche par compétences est donc une approche particulièrement analytique du comportement du sujet, elle estime que la conscientisation et la lucidité des acteurs en situation d’acquisition-transmission sont des objectifs désirables. Là encore, il s’agit d’un vrai débat.

L’approche par compétences peut s’intégrer dans une méthode d’organisation, l’approche programme qui invite les concepteurs à associer leurs propres compétences diverses dans le cadre d’un travail collégial (ce qu’on appelle l’équipe pédagogique finalement). On ne travaille plus à un cours particulier, mais à un parcours au sein duquel les différentes apports sont harmonisés et pondérés. Les profs, pour le dire un peu plus crûment, ne sont pas propriétaires de leurs apprentissages, il travaillent avec d’autres acteurs qui les influencent. L’approche programme, comme l’APC, vise l’explicitation la plus complète possible par la collégialité. Cette explicitation n’est pas au bénéfice des seuls concepteurs, elle profite aux apprenants qui doivent connaître les objectifs pédagogiques (à court, moyen et long terme) et les modalités d’évaluation.

J’espère que vous comprenez pourquoi je parle de deux mobilisations mentales parallèles.

Bilan-questionnement

Le bilan sera aussi marqué par le parallélisme. Je vous livre ici l’état du travail de Claire, Françoise et moi à la fin de la formation, et je terminerai sur des questionnements plus personnels.

Nous avons donc pu présenter quelque chose à la fin de la formation et à la gouvernance.

Ceci est donc un exemple de feuille de route pour la mise en place d’un parcours IST à destination des doctorants. Les zones plus ou moins rouges sont les points de difficultés attendus, et il faut remarquer que nous n’avions pas tort. Le travail a commencé, pour Claire et moi en (1), au niveau de la traduction des exigences réglementaires incarnées par le Répertoire National des Compétences Professionnelles (RNCP) en compétences que nous, acteurs de l’IST pouvions comprendre et mobiliser. Nous avons donc utilisé RECIF le référentiel des compétences informationnelles de l’ADBU. Je ne désespère pas d’intégrer le CRCN (Cadre de Référence des Compétences Numériques), mais je tiens à le faire pour une vraie bonne raison (dans le cadre d’une diversification de l’offre des formations par exemple).
Voici aujourd’hui comment se structure notre catalogue de formations doctorales :

Chaque trajectoire se structure ensuite en différentes thématiques dans lesquelles s’insèrent les formations. Il y a un responsable pédagogique pour chaque trajectoire, garant de sa cohérence pédagogique (et de la bonne tenue du calendrier).

Je reste prudent vis-à-vis de l’APC et de l’AP. L’approche par compétences a le vent en poupe depuis quelques années, les gouvernances ont décidé de s’en saisir et d’en faire la promotion, si bien qu’aujourd’hui, il faut passer des programmes, des catalogues entiers à l’APC. Je ne suis pas certain que les gouvernances comme les acteurs du terrain sachent vraiment ce que cela signifie et j’espère avoir donné, dans ces lignes, une idée de la complexité du sujet.
Dans ma pratique, je tente de distinguer :

  • d’une part, ce que demande la gouvernance, qui parle son propre langage, qui a chargé d’un certain sens les termes qu’elle emploie et qui a ses objectifs (qui peuvent ou non coïncider avec les miens, là n’est pas la question) ;
  • d’autre part, l’idée que je me fais de mon métier : le niveau d’exigence auquel je m’astreins, ce que je considère être une transmission réussie, le plaisir que je retire à la pratique, etc.

Je garde en tête qu’il n’y a pas, pour le moment, de situation réelle d’application absolue de l’APC et de l’AP. Les retours du terrains semblent aller dans ce sens : l’approche par compétences n’est pas opérationnelle par elle-même à partir du moment où l’on se retrouve en situation d’acquisition-transmission. Pour ma part, je ne suis pas capable de dire si, pendant mes formations, je suis APC ou non, tout simplement parce que je n’y pense absolument pas.
Je garde en tête que les fondements théoriques de l’APC ne sont pas stabilisés, il sont encore en débat, et il est possible que dans 5 ou 10 ans, quelque chose d’autre émerge (quelle réponse de l’APC vis-à-vis de l’intelligence artificielle par exemple ?).
Je garde enfin en tête un certain nombre de questions qui, si elles ont été nourries par la théorisation de l’APC, sont largement plus anciennes et ce sont elles qui me taraudent en premier lieu :

  • Qu’est-ce que je transmets réellement au public que je dessers ? Puis-je le connaître ?
  • Qu’est-ce que le public reçoit réellement ? Puis-je le connaître ?
  • Quelle est la part de tacite dans les processus d’acquisition-transmission que nous expérimentons (à la fois comme tuteur et entre pair.e.s) ?

Quelques références

  • BOSLER, Sabine, PASCAU, Julie, PLEAU, Joannie et FASTREZ, Pierre. Des concepts au terrain : questionnements relatifs à la culture numérique en éducation aux médias et par les médias. Communication & langages. 2019. Vol. 201, n° 3, pp. 41‑66.
  • BRZUSTOWSKI-VAÏSSE, Katie, MARCZAK, Raphaël et MARIE-MONTAGNAC, Hélène. ‪De Subpoena à CIEL : étude de l’acquisition de compétences informationnelles à travers une approche vidéoludique pluridisciplinaire‪. Communication & Organisation. 2018. Vol. 54, n° 2, pp. 229‑240.  
  • COULET, Jean-Claude. La notion de compétence : un modèle pour décrire, évaluer et développer les compétences. Le travail humain. 14 mars 2011. Vol. 74, n° 1, pp. 1‑30.
  • COULET, Jean-Claude. Compétences transversales : quelques suggestions pour s’affranchir d’un mythe. Recherches en éducation. [en ligne]. 2019. N° 37. [Consulté le 4 avril 2022].
  • FÉROC DUMEZ, Isabelle, LOICQ, Marlène et SEURRAT, Aude. Dossier en débats : questionner les relations des chercheurs aux acteurs et aux pratiques de l’Éducation aux médias et à l’Information (EMI). Communication & langages. 2019. Vol. 201, n° 3, pp. 31‑40.
  • SOLER, Léna. Les expérimentateurs sont-ils substituables les uns aux autres ? Le Philosophoire. 29 décembre 2011. Vol. n° 35, n° 1, pp. 65‑113.
  • TARDIF, Jacques. L’évaluation des compétences: documenter le parcours de développement. . Montréal: Chenelière-éducation , DL 2006, 2006. Chenelière/Didactique Évaluation et compétences.

Samuel Jamet

(article initialement publié sur le forum FormaBib le 15/01/2023)

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