Portrait #4 : Benjamin Laillier
2 minutes pour vous présenter
Je suis Benjamin Laillier, je forme tous les types d’usagers : des lycéens jusqu’aux enseignants-chercheurs, en passant par les licences, masters, doctorats et je forme également un certain nombre de collègues puisque je m’occupe aussi de la formation interne. Je le fais depuis mon arrivée en poste à Nanterre en avril 2017.
Avant, j’avais quelques expériences de formation dans l’Education nationale : j’étais pion pendant deux ans et du coup je faisais de l’aide aux devoirs ; ça m’a donné quelques billes pour former ensuite les étudiants.
Vous formez des lycéens en ce moment ?
On a un projet depuis deux ans avec deux enseignants qui nous amènent leurs élèves de 1ere qui sont volontaires.
L’année dernière c’était dans le cadre du Wikiconcours, concours organisé en partenariat avec le CLEMI -Centre pour L’Education aux Médias et à l’Information- et Wikimédia France, visant à rédiger un article sur un sujet qui n’existe pas dans Wikipédia ou à refaire un article qui est très mauvais. Les élèves ont fait un article sur les correspondances des soldats pendant la 1ere guerre mondiale. Ils étaient 8 accompagnés par leurs 2 professeurs et on avait 4 sessions de formations de 3 heures chacune sur la recherche documentaire, sur l’évaluation de l’information et sur l’accompagnement aussi de leur travail en autonomie. On leur a fait une carte de bibliothèque et ils ont pu emprunter des livres.
Cette année, le wikiconcours a été annulé mais nous avions déjà commencé le projet avec les enseignants et nous étions sur une autre échelle puisqu’ils sont passés de 8 élèves à une vingtaine, tous volontaires. Ils sont en train d’écrire 2 articles pour Wikipédia : le 1er sur les BD traitant de la 1ere guerre mondiale, le 2nd sur les BD traitant de la guerre d’Algérie.
Sans concours, il n’y avait plus trop de finalité mais là on a trouvé une solution avec les enseignants donc il va y avoir plusieurs choses à la fin de l’année qui vont être très importantes pour les lycéens. La 1ere c’est une valorisation de leurs articles qui seront imprimés sur de grands panneaux et exposés dans leur lycée et nous on va reprendre ces panneaux et les valoriser sur nos tables tactiles dans le PIXEL pour les rendre disponibles pour les étudiants. Ensuite, on va accueillir une table ronde réunissant 2 auteurs de BD (Kris et Jeanne Puchol) et 2 spécialistes ( Raphaëlle Branche pour la guerre d’Algérie et Nicolas Beaupré pour la 1ère Guerre mondiale). La table ronde aura lieu à la BU, ça sera accessible à tout le monde mais ce sont les lycéens qui vont interviewer les intervenants et préparer les questions.
On réfléchit déjà aux projets pour l’année prochaine avec ces enseignants.
Qu’est-ce que la formation pour vous ?
La 1ere chose, c’est rendre indépendants les étudiants sans laisser personne sur le bord de la route. C’est un vœu mais c’est vraiment pour moi le but de la formation.
C’est partir des étudiants, de ce qu’ils savent, de ce qu’ils ne savent pas et pour qu’ensuite ils soient autonomes pour utiliser nos outils -que ça soit le catalogue mais aussi les outils comme zotero, Tropy, Word, etc.
Une technique que vous aimez bien utiliser ?
Pas de technique particulière mais il en y a 2 que j’aime bien utiliser selon les circonstances.
C’est très simple, c’est d’abord faire un tour de table pour à la fois connaître les étudiants et connaitre un peu leurs attentes.
La 2e qui fonctionne bien, dans certains contextes -pas tous !-, c’est de prendre 5 minutes avec les étudiants pour les faire réfléchir au sujet et qu’ils écrivent leurs idées sur un padlet ou sur ce type d’outil pour vraiment avoir ensuite une vision d’où ils partent, leurs attentes et tout ça et pouvoir adapter la formation au maximum à ce qu’ils souhaitent et ce dont ils ont besoin.
Le(s) public(s) préféré(s) ?
Je n’ai pas forcément de public préféré, en fait j’aime bien tous les publics parce qu’il y a vraiment des enjeux différents sur chaque public que ça soit des lycéens, des étudiants en licence, des étudiants en master, en doctorat.
Après, j’ai quand même un petit faible pour 2 publics.
J’aime bien les lycéens parce que c’est dans un contexte très particulier : ils sont très encadrés, on leur a expliqué pourquoi ils viennent là, ils sont volontaires et ce qu’on a remarqué avec les collègues, c’est qu’ils ont une certaine fraicheur que n’ont plus les étudiants. On a l’impression que lorsqu’on entre à l’université il y a une chappe de plomb qui leur tombe dessus et ils n’osent plus participer alors que là, les lycéens n’ont pas peur. Déjà, ils se connaissent tous entre eux donc il y a une certaine dynamique de groupe et ils n’ont pas peur de dire des bêtises ; ils n’ont pas peur de se tromper et, du coup, sur nos outils, ils ont été plus rapidement autonomes que des étudiants qui n’osent pas participer, qui n’osent pas parler en formation. Après il y avait le contexte particulier aussi où on faisait toutes nos formations en visio et les lycéens étaient le seul public que l’on voyait en présentiel donc ça donnait un peu une bouffée d’air frais.
L’autre public, ça serait les étudiants étrangers. On a un cursus à Nanterre qui s’appelle « FETE » (Français pour ETudiants Etrangers) .C’est un diplôme universitaire qu’ils passent à chaque fin de semestre et il y a autant de DU que de niveaux de langue, de A1 à A2 etc. etc. jusqu’à C2 et donc on les voit tous, chaque niveau de langue et c’est intéressant parce que c’est des étudiants qui viennent de partout dans le monde, qui ont des expériences très différentes : ça va de l’ étudiant qui sort de l’équivalent du lycée dans son pays, vient faire des études en France mais ne passe pas par Erasmus et a besoin d’attester de son niveau de langue avant de s’inscrire dans un cursus jusqu’aux étudiants qui ont déjà une expérience professionnelle, un cursus complet dans leur pays et qui malheureusement sont en situation d’exil et leurs diplômes n’étant pas reconnus en France, ils recommencent tout à zéro pour pouvoir exercer le même métier qu’ils exerçaient dans leur pays.
J’ai eu même une fois la femme d’un diplomate étranger qui arrivait en France et s’est inscrite dans ce cursus-là. On a des expériences très différentes. Ce sont des formations que l’on fait uniquement en Français parce qu‘ ils viennent de tellement de pays différents que le seul dénominateur commun au final, c’est le français et en plus c’est une demande de leur part. C’est par exemple le type de public qui parfois, ça dépend des promos, parfois ils nous applaudissent à la fin des formations ! Ça a un petit côté narcissique mais c’est surprenant et à la fois c’est vraiment un public qui est intéressant.
Comment s’est fait le passage à la formation à distance, ces deux dernières années ?
Ça s’est fait un peu dans la douleur, comme avec beaucoup de collègues, je ne suis pas une exception. D’un point de vue personnel ça a vraiment été une contrainte et j’étais très content cette année de reprendre les formations en présentiel parce que, pour moi, rien ne vaut vraiment le contact et les formations en vrai devant un public, devant nos lecteurs. Malgré tout, on a réussi à faire des choses, on a réussi à s’améliorer. On a eu comme tout le monde quelques mauvaises expériences où on a passé 2 heures à parler devant des écrans noirs… Au début on était un peu décontenancés et après on a pris un peu de recul. On a lu aussi des choses sur pourquoi les étudiants ne mettent pas leurs caméras donc, quand on a compris aussi un peu les raisons derrière, ça nous a permis de relativiser.
Cette année, on a choisi malgré tout de garder quelques formations en visio, notamment nos formations sur inscription libre. On propose chaque formation en présentiel et aussi une fois par semestre en visio pour permettre à des étudiants qui sont très éloignés ou tout simplement qui deviendraient d’un seul coup ou cas contact (car il y a toujours ça en jeu actuellement) de pouvoir suivre les formations.
Le meilleur souvenir et le pire souvenir de formation ?
Meilleur souvenir, j’en ai parlé tout à l’heure, ce sont vraiment les étudiants étrangers et les lycéens avec le wikiconcours.
Le pire, étonnamment, alors il y a plein de collègues qui vont dire les L1, et bien moi ça a été des adultes qui avaient entre 40 et 50 ans, qui étaient tous en reconversion professionnelle. Je pense que se retrouver dans une classe, ça leur a fait remonter tout un tas de mauvaises habitudes de lycéens. Du coup, ils m’ont bordelisé la formation -la mienne mais aussi celle de ma collègue la semaine d’après-. Ça a été comme ça 2 années de suite : 2 promos différentes avec un public vraiment ingérable ce qui fait que, depuis, on ne répond plus à leurs sollicitations parce que ce n’est juste pas possible. On n’en a plus depuis 2 ans vu le contexte mais c’était impossible à gérer. Avec ma collègue, on était assez jeunes et du coup c’était un petit peu « bon il est jeune, il ne va pas nous apprendre la vie, on va essayer de le mettre mal à l’aise sur des trucs ». Par exemple, typiquement, ils m’ont demandé si on avait des films pornographiques à la BU dans la vidéothèque donc…. Voilà… c’était des questions de ce niveau-là pour essayer de nous mettre mal à l’aise. Dès qu’il y en a un qui posait une question, ils se chambraient entre eux et du coup ça durait 5 minutes…enfin c’était juste infernal et ils nous parlaient sur un ton un peu obséquieux plutôt désagréable.
C’était une formation de 2 heures, en fin de journée. On les recevait de 17 à 19 en plus, on faisait tout pour les arranger et voilà… Donc ça a été mon pire souvenir parce que sinon après avec les étudiants, il y a des publics plus ou moins compliqués à gérer mais ça reste des étudiants alors que là c’était décuplé par le fait que c’était des adultes avec normalement une vie déjà professionnelle et un savoir -vivre. Donc on ne s’y attendait pas du tout et c’est ça qui a fait que la chute était plus rude encore.
Quelle(s) formation(s) a (ou ont) été cruciale(s) dans la construction du formateur que vous êtes ?
Il y a eu plusieurs choses.
Moi ce qui m’a permis de progresser je trouve dans la formation ça a été de me retrouver face à des grands groupes de type 30 à 40 étudiants (pas plus, à Nanterre on ne forme pas des amphis de 300- 400 personnes). Ce genre de groupes parce qu’on est à la fois obligés d’avancer et il y a tout un tas de problèmes individuels qui doivent être résolus parce que c’était en plus une commande spécifique : on devait faire en même temps Zotero et la recherche doc en 3 heures. Du coup on passait d’un outil à l’autre, du catalogue à Zotero devant 30 à 40 personnes. Après, quand on se retrouve devant 5 à 10 personnes, on est tout de suite beaucoup plus à l’aise et on apprend à relativiser. Donc ça, ça a été important. Sinon d’un point de vue personnel, et là peut être plus sur le back office de la formation, ce qui m’a surtout fait progresser c’est à la fois les discussions en amont et en aval avec les enseignants et celles avec les étudiants qui viennent te voir après la formation et te reposent des questions : ça permet aussi d’ajuster des choses pour la formation suivante.
En tant qu’animateur, quel personnage de fiction seriez-vous ?
Je dirais Q, l’agent qui reste totalement dans l’ombre, fournit les armes, les gadgets à James Bond pour qu’il puisse se la péter en retour. Du coup, c’est un peu ça les formateurs : on donne des billes aux étudiants pour qu’ensuite ils puissent s’exprimer dans leurs recherches et faire ce qu’il faut dans les règles mais en fait c’est nous qui leur transmettons ça et on reste dans l’ombre. On pourrait dire que M c’est le directeur de thèse et Q c’est le bibliothécaire.
Le lieu de formation de vos rêves ?
Je vais être très terre à terre mais c’est dans un 1er temps une salle où tout fonctionne du 1er coup.
Ça c’est très important. Et puis après dans un lieu sympa quand même et pour moi ça serait en haut de quelque chose : en haut d’une montagne ou sur un flanc de montagne ou une tour, avec une vue à 360 où l’on puisse voir l’horizon. C’est peut-être le fait d’habiter à Paris depuis trop longtemps et de ne pas voir l’horizon qui me fait dire ça mais voilà : un truc où on est en hauteur et où on peut contempler aussi le paysage en formant des étudiants.
Si vous aviez des moyens illimités que mettriez-vous en place ?
Là aussi, je vais très terre à terre : comme je ne suis pas forcément partisan de beaucoup de gadgets je dirais : acheter du matériel qui soit vraiment puissant, dont on soit sûr de la fiabilité et aussi permettre à la bibliothèque d’offrir à chaque étudiant qui vient en formation qu’on puisse leur donner, indéfiniment, sous forme de don, un ordinateur en état de fonctionner pour que tous les étudiants puissent partir avec le même niveau d’outils techniques et qu’il n’y ait pas de bugs et pas de différence de moyen entre les étudiants sur le matériel qu’ils ont à leur disposition pour écrire leur thèse, leur mémoire et faire leurs études. Ce qui couterait déjà beaucoup d’argent puisque fournir un ordinateur à 33000 étudiants à Nanterre…
Qu’est-ce que vous faites maintenant que vous ne faisiez pas au début ?
Je prépare de moins en moins mes formations.
Ce n’est peut pas politiquement correct de dire ça… je les prépare mais je les cadre moins ce qui me permet d’être beaucoup plus souple et du coup quand les étudiants me demandent d’adapter ma formation, quand je vois qu’il y a des problèmes spécifiques, je peux beaucoup plus facilement passer d’un truc à un autre sans sortir de mon cadre et sans être perdu, reprendre mes notes. Je me suis aperçu qu’en partant moins préparé, j’étais plus naturel dans mes explications et beaucoup plus à l’aise dès que quelque chose ne se passait pas comme prévu et donc j’étais beaucoup moins décontenancé et je pouvais rebondir et revenir à ce que je faisais.
Donc vous laissez de côté la scénarisation ?
Voilà, c’est ça. Complètement.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous au formateur débutant que vous étiez ?
Déjà une chose : de moins préparer ses formations et de ne pas se prendre la tête avec tout un tas de gadgets ou d’outils. Au début, je passais beaucoup de temps à regarder ce qui se faisait au niveau des quiz en ligne et tout ça. Je perdais beaucoup de temps et beaucoup d’énergie en me disant « il faut que je trouve l’outil parfait » et, du coup, cette question de l’outil à utiliser forcément en formation ça me rajoutait beaucoup plus de stress qu’autre chose. Donc là je me suis reconcentré sur des outils vraiment très basiques comme le padlet dont je parlais tout à l’heure et dont je suis sûr que ça fonctionne .
Ce sont mes 2 conseils : moins de gadgets et moins de préparation.
(Entretien réalisé le 18 mars 2022)